Expert indépendant de l’ONU sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, Victor Madrigal-Borloz alerte quant à la situation dramatique des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes (LGBTI+) en Ukraine. Selon lui, elles sont particulièrement vulnérables à des actes de stigmatisation, de discrimination, de harcèlement et de violence lors du conflit.
L’expert costaricain rappelle que la protection des personnes LGBTQI+ est un impératif des droits humains, qui doit être respecté à la fois par la population civile et par les combattants armés.
Alors que plus de 14 millions de citoyens ukrainiens ont dû fuir leur foyer depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie le 24 février, il met en garde contre les discriminations subies par les personnes LGBTI+.
Des personnes LGBTI+ se verraient refuser une assistance humanitaire en Ukraine
« Des milliers voire des centaines de milliers de personnes LGBTI+ sont déplacées », estime M. Madrigal-Borloz. Or, celles-ci font face à des difficultés supplémentaires en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, et subissent des risques de persécution spécifiques.
« Je reçois beaucoup de rapports selon lesquels des personnes LGBTI+ se voient nier une assistance humanitaire en Ukraine », affirme l’expert indépendant. Selon lui, l’aide est parfois gérée par des leaders communautaires ou religieux, qui ne reconnaissent pas la diversité des orientations sexuelles ou des identités de genre. Ils appliqueraient donc des traitements discriminants, en refusant l’accès à des soins médicaux, à des rations de nourriture, des articles d’hygiène ou des centres d’hébergement.
Cela est extrêmement problématique, car ces discriminations mettent en danger la vie des citoyens concernés. « La seule organisation qui maintient un centre d’hébergement pour des personnes LGBTI+ en situation de déplacement en Ukraine ne gère que 16 lits », détaille M. Madrigal-Borloz. « C’est tout. Alors que l’Ukraine compte une population de plus de 40 millions d’individus », rappelle-t-il, en pointant le déséquilibre des ressources allouées à la communauté.
D’autres d’obstacles s’additionnent pour ceux qui tentent de fuir le conflit. Les personnes LGBTI+ réfugiées ou déplacées peuvent ainsi avoir des difficultés à quitter leur pays en raison de documents d’identité qui ne correspondraient pas à leur genre ou à leur apparence physique. Il leur est aussi plus difficile d'évacuer des enclaves civiles en empruntant les couloirs humanitaires, ou d'obtenir des exemptions médicales au service militaire obligatoire, réservé aux hommes. Cela accroit donc les risques pour leur sécurité, et les rend encore plus vulnérables à l’exploitation, l’abus ou la traite humaine.
« Des décennies de progrès détruites »
Un constat d’autant plus dramatique que la guerre semble avoir effacé les progrès récents en Ukraine.
M. Madrigal-Borloz s’était rendu dans le pays en 2019, où il avait rencontré des représentants des autorités, des ONGs et des personnes LGBTI+. Il n’avait alors noté « aucune indication d'actes flagrants ou massifs de violence individuelle contre la communauté en Ukraine ».
A l’époque, l'État ukrainien se trouvait à un moment où il pouvait prendre des mesures importantes pour reconnaître et embrasser la diversité sexuelle et de genre, d’après le juriste. « Je pensais que c’était un contexte qui avait beaucoup de promesses. Je croyais même que les conditions étaient réunies pour une avancée systématique des droits des personnes LGBTI+ », confie-t-il.
Mais tout a changé depuis le 24 février 2022, et l’invasion du pays par la Fédération de Russie. « Avec le conflit armé qui en résulte, je pense que les décennies de progrès des droits LGBTI+ ont été détruites par la guerre », affirme Victor Madrigal-Borloz.
L’expert costaricain explique avoir aussi reçu de nombreux éléments confirmant que « la domination de facto ou par la loi de la Fédération de Russie sur certains territoires devrait engendrer une régression des droits, comme cela avait été le cas en Crimée à partir de 2014 ».
De plus, les personnes LGBTI+ sont considérées comme plus fragiles que le reste de la population ukrainienne « en raison de leur représentation disproportionnée au sein des plus pauvres », souligne le juriste. Or, la guerre a engendré la destruction de centres de santé, de lieux éducatifs et des hébergements qui leur étaient indispensables.
La lutte contre les discriminations
Face à cette situation, il est crucial de renforcer le combat contre tout acte discriminant et d’apporter une réponse appropriée. L’expert indépendant de l’ONU rappelle « l’importance absolue de reconnaître les vulnérabilités qui ne sont pas inhérentes aux personnes LGBTI+, mais bien à l’exclusion qu’elles subissent ».
D’après lui, ces traitements injustes résultent de préjugés et du manque de considération quant aux besoins spécifiques des individus affectés. Une situation qui s’applique à de nombreux pays, alors que plus de 2 milliards de citoyens vivent encore dans des États criminalisant les relations homosexuelles.
Victor Madrigal-Borloz appelle désormais à « concevoir et mettre en œuvre des politiques d’assistance humanitaire spécifiques » pour la communauté LGBTI+ en Ukraine. Il souhaite aussi que les ONGs compétentes sur ce sujet prennent part aux efforts locaux, nationaux et internationaux.
Lors d’une table ronde organisée par ONUSIDA pour la Journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie, l’expert a ainsi déclaré : « les agences humanitaires doivent s'assurer que les organisations de la société civile ayant une expertise soient incluses dans la planification et la mise en œuvre de toute l'aide humanitaire ». Un moyen, selon lui, de mieux protéger les droits et la dignité des personnes LGBTI+ lors de conflits armés.
Un article produit par Aurore Bourdin, ONU Genève
Retrouvez l’interview complète de Victor Madrigal-Borloz pour ONU Info Genève : http://onuinfogeneve.podbean.com/
NOTE :
Le mandat de l'Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre compte parmi les 45 « procédures spéciales » nommées par le Conseil des droits de l’homme pour l’aider à accomplir ses tâches dans des domaines aussi divers que la défense des droits des personnes d’ascendance africaine, la lutte contre la discrimination envers les femmes et les filles, ou encore les droits des migrants et la lutte contre l’extrême pauvreté. Les titulaires des mandats – Rapporteurs spéciaux, Experts indépendants et membres de groupes de travail, considérés comme « les yeux et les oreilles » du Conseil – rendent compte de la situation des droits de l’homme et donnent des conseils en la matière du point de vue d’un thème ou d’un pays particulier. Ils ne font pas partie du personnel des Nations Unies et ne reçoivent pas de salaire.