Tunis le 29 septembre 2015
Communiqué
STOP à l’humiliation et à l’atteinte à la vie privée des citoyennes et des citoyens
Les associations signataires, portent à la connaissance des autorités publiques, des organismes de défense des droits humains, des associations, des médias et de l’opinion publique, le communiqué suivant :
Aujourd'hui, l'article 230 du code pénal fait encore une fois des ravages, condamnant cette fois un jeune homme de 22 ans.
Arrêté depuis le 06 Septembre 2015, le jeune homme a subi des interrogatoires attentant à sa vie privée et son orientation sexuelle ainsi qu'une violation de ses correspondances par la lecture de messages personnels (sms) sur son téléphone cellulaire ;
Il a dû, en outre, subir un test anal pour "prouver son homosexualité", ce qui constitue un acte de torture selon le comité des Nations Unies de lutte contre la torture ; et que les associations signataires considèrent un acte de viol ;
La Tunisie étant un pays signataire de la déclaration universelle des droits humains, des pactes des droits de l’Homme et de la convention de lutte contre la torture, ces pratiques sont une atteinte aux droits humains ainsi qu'aux droits garantis par la constitution tunisienne.
Nous rappelons dans ce cadre les articles 21, 23 et 24 de la constitution:
"Article 21: Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination. L’État garantit aux citoyens les libertés et les droits individuels et collectifs. Il veille à leur assurer les conditions d’une vie digne.
Article 23 : L’État protège la dignité de l’être humain et son intégrité physique et interdit la torture morale ou physique. Le crime de torture est imprescriptible.
Article 24 : L’État protège la vie privée, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, des communications et des données personnelles..."
Nous condamnons fermement ces faits et exigeons la libération immédiate de l'homme en question. Nous exigeons également l'abrogation de l'article 230 du code pénal tunisien, comme étant une disposition inconstitutionnelle et non conforme aux dispositions des conventions internationales dûment ratifiées par la Tunisie.
Différence entre perversion sexuelle et homosexualité
Comment peut-on guérir ou traiter une maladie qui n’existe pas dans les classifications mondiales des maladies mentales ?
Dr. Soumaya Bel Haj
A la demande des associations signataires, nous, Pr. Soumaya Bel Haj, docteur en psychologie, Enseignante de psychologi, Institut Ibn Charaf, Université Tunis El Manar, donnons l`avis qui suit :
De manière générale, le diagnostic d’une maladie mentale se base sur un certain nombre de critères qui figurent dans les manuels de classification des troubles mentaux. Ces manuels de classification sont le fruit d’un travail de longues années de recherche et d’analyse clinique.
Les manuels les plus utilisés dans le domaine clinique sont :
Manuel Diagnostic et Statistique des Troubles Mentaux (1993) ; DSM-IV
Classification Internationale des Maladies et des Problèmes de Santé Connexes (2006) ; CIM-10.
L’examen de ces manuels montre que l’homosexualité n’y existe pas, elle n’est donc pas une entité pathologique. En effet, il s’agit plutôt d’une orientation sexuelle au même titre que l’hétérosexualité entre adulte consentants, elle n’est répertoriée nulle part comme étant un trouble, un dysfonctionnent ou une déviation sexuelle. Selon le dictionnaire de Psychologie, « l’homosexualité est avant tout une affaire de choix d’objet ».
Par contre, les perversions sexuelles ou paraphilie (la conception actuelle) sont des pathologies avec des critères diagnostic qui permettent de les identifier.
Dans le chapitre consacré aux troubles sexuels et trouble de l’identité sexuel du DSM-IV (page, 617), nous trouvons la description des paraphilies et des perversions sexuelles qui consistent en une mise en acte d’une imagerie paraphilique avec un partenaire non consentant comme dans le cadre de la pédophilie (focalisation sur des enfants pré pubères) ou encore le sadisme sexuel (infliger humiliation ou souffrance au partenaire). Selon le DSM-IV, les agressions sexuelles envers les enfants représentent une proportion significative de l’ensemble des crimes sexuels répertoriés et les individus présentant un Exhibitionnisme, une Pédophilie, un voyeurisme représentent la majorité des délinquants sexuels appréhendés (page, 654).
Dr. Soumaya Bel Haj
Docteur en psychologie, Enseignante de psychologie,
l`Institut Ibn Charaf, Université Tunis El Manar,
La nécéssité d`abroger l’article 230 du Code Pénal
Pr. Wahid Ferchichi
A la demande des associations signataires, nous Wahid Ferchichi, professeur agrégé de droit, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Université de Carthage, donnons l`avis suivant :
Avec l’adoption de la nouvelle Constitution tunisienne le 27 janvier 2014, nombreuses sont les dispositions qui militent en faveur de l’abrogation de l’article 230 du code pénal, dont la teneur ne correspond ni aux fondements de la démocratie, des droits de l’Homme et du respect de la personne humaine, ni aux principes d’un État civil. Il convient en effet désormais de réfléchir à une meilleure adaptation du droit existant, et notamment des dispositions liberticides, aux principes et règles de la nouvelle Constitution en matière de respect de la vie privée (1), de protection de la dignité et de l’intégrité (2), de non-discrimination (3) et par rapport aux principes de nécessité et de proportionnalité (4).
1. La protection de la vie privée
Selon l’article 24 de la Constitution tunisienne de 2014 : « L’Etat protège la vie privée, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, des communications et des données personnelles… » . Cette disposition traduit l’engagement international de la Tunisie au titre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dont l’article 12 dispose ce qui suit : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » ; ainsi qu’au titre du Pacte International des Droit civils et politiques dont l’article 17 reprend intégralement l’article 12 précité.
A la lecture de ces textes, il appert que la pénalisation d’un acte sexuel pratique en privé entre adultes consentants ouvre la voie à un ensemble de violations du droit à la vie privée, puisque pour prouver un tel acte, il serait souvent nécessaire de procéder à des recherches, des « descentes », des perquisitions et des fouilles dans les correspondances, notamment électroniques. Ainsi, au vu de ses conséquences négatives sur le droit à la vie privée, l’article 230 du code pénal apparaît nettement injustifié.
2. La protection de la dignité et de l’intégrité de la personne
L’article 23 de la Constitution tunisienne de 2014 dispose ce qui suit : « L’Etat protège la dignité de l’être humain et son intégrité physique, et interdit la torture morale et physique. Le crime de torture est imprescriptible ». Il s’agit là d’une confirmation de l’adhésion de la Tunisie aux différents instruments internationaux et notamment à l’article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui dispose que : « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Il en est de même de l’article 7 du Pacte International des Droit civils et politiques qui dispose que : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique ». Pour sa part, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels ou inhumains (adoptée le 10 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987) considère dans son article 1er la torture comme : « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux… de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination qu’elle qu’en soit , lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite… ». Dans ce cadre, le Comité des Nations Unies de lutte contre la torture a considéré les examens anaux comme étant un acte de torture (3 octobre 2014) et a recommandé l’interdiction de ce type d’examen pour garantir « le respect intégral de la dignité humaine ». La Constitution tunisienne et les conventions internationales insistent sur la protection de la dignité et de l’intégrité de l’Homme. Or, les personnes soupçonnées ou accusées, sur la base de l’article 230 du C.P, d’avoir des rapports sexuels en privé entre adultes consentants, ont souvent à subir des examens médicaux très dégradants, qui constituent des actes de torture au sens de la Convention internationale contre la torture, ce qui remet en cause la protection de la dignité et de l’intégrité constitutionnellement reconnues à toute personne et protégées à ce titre, ce qui suppose d’étendre ladite protection aux homosexuels qui sont avant tout des « êtres humains ».
3. Le principe de non-discrimination
Le principe de la non-discrimination a été clairement formulé au niveau de l’article 21 de la Constitution tunisienne de 2014 qui dispose ce qui suit : « Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination ». Cette consécration du principe de non-discrimination correspond aux différents traités et conventions déjà ratifiées par la Tunisie ;
A ce niveau, l’article 2 du pacte des droits civils et politiques dispose clairement ce qui suit : « Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans discrimination aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) considère dans son article 1er que : « l’expression discrimination à l’égard des femmes, vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe… ».
Il en est de même de la Convention contre la torture qui annonce clairement l’interdiction de toute forme de torture infligée à une personne « pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit » (article 1er).
La Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée le 20 novembre 1989, rappelle dans son article 2 que « les Etats parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune…ou toute autre situation ».
Si l’orientation sexuelle ne figure pas expressément parmi la liste des motifs interdits selon ces instruments internationaux, on relève une certaine souplesse et flexibilité dans l’interprétation du terme « toute autre situation », ce qui permet d’intégrer l’orientation sexuelle parmi les motifs de discrimination. D’ailleurs, à ce niveau, l’observation générale n° 20 de 2009 (§ 27) du Comité des droits économiques, sociaux culturels a rappelé clairement que l’expression « toute autre situation » incluait bien la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle.
De même, le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a insisté sur le caractère universel de toutes les discriminations, puisque la CEDAW n’as pas prévu une liste de motifs de discrimination. Ainsi, le Comité du CEDAW a insisté dans sa recommandation générale n°28 (article 2 - obligations des Etats) sur le fait que : « la discrimination fondée sur le sexe ou le genre est indissociablement liée à d’autres facteurs tels que la race, la religion, l’origine ethnique, …l’orientation sexuelle….les Etats parties doivent prévoir également ces formes superposées de discrimination et l’effet cumulé de leurs conséquences négatives pour les intéressés, et ils doivent les interdire ».
Quant au Comité spécial pour la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, il a expliqué dans son observation n°2 de 2008 (§ 21) que les Etats parties ayant l’obligation de prévenir la torture, ils doivent veiller « à ce que leurs lois soient dans la pratique appliqués à tous, sans distinction fondée sur des diverses caractéristiques personnelles y compris les « orientations sexuelles ».
Pour sa part, le Comité des droits de l’enfant a observé (observation générale n°4, 2003) que « les Etats parties s’engagent à garantir à tout être humain âgé de moins de 18 ans l’exercice de tous les droits énoncés dans la Convention sans distinction aucune » (article2), et indépendamment de toute considération de « race, de couleur, de sexe, de langue, de religion…ou toute autre situation, cette liste de motifs englobe aussi les préférences sexuelles et l’état de santé des adolescents ».
Dans le domaine de l’éducation le Comité des droits de l’Homme, et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité des droits de l’enfant ont exprimé leurs inquiétudes face à la discrimination homophobe dans les écoles, en lançant des appels en faveur des mesures de lutte contre cette discrimination et ces attitudes homophobes
Enfin, le 15 juin 2011, la question de la discrimination a attiré l’attention du Conseil des Droits de l’Homme (de l’ONU) qui a adopté la résolution 17/19, première résolution des Nations Unies sur l’orientation sexuelle. A ce niveau, le Conseil des droits de l’Homme a été le premier organe intergouvernemental à exprimer sa « grave préoccupation concernant la violence et la discrimination contre les individus en fonction de leurs orientation sexuelle » .
Quel sens donner au principe de non-discrimination alors que des personnes demeurent toujours discriminées à cause de leur orientation sexuelle ? Toutes les instances des droits de l’Homme s’accordent aujourd’hui à considérer la pénalisation de l’homosexualité comme faisant partie des actes de discrimination. Ainsi, l’article 230 ne se justifie plus sous l’angle de la lutte contre toute forme de discrimination.
4. Les principes de nécessité et de proportionnalité
L’un des acquis de la Constitution demeure l’article 49 qui dispose ce qui suit : « Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications ».
Grâce à cet article, la Constitution tunisienne a enfin déterminé le cadre susceptible de limiter les droits et libertés constitutionnellement protégés. S’inspirant des conventions internationales dûment ratifiées par la Tunisie, l’article 49 de la Constitution a institué les deux principes de base à respecter en matière de limitation à apporter aux droits et libertés : les exigences d’un Etat civil et démocratique d’une part et la proportionnalité de la restriction à l’objectif recherché d’autre part. Sur cette base, comment peut-on lire l’article 230 du code pénal ? En d’autres termes, la pénalisation de l’homosexualité est-elle nécessaire dans un Etat civil et démocratique ?
À cet égard, la revue des exemples comparés montre que seuls les Etats non-civils (Etat théocratiques ou religieux) et/ou non-démocratiques continuent à incriminer l’homosexualité. En outre, les conditions de pénalisation de l’homosexualité prévues par l’article 230 du C.P remettent en cause tous les bases mêmes d’un Etat civil et démocratique, fondées sur le respect de l’individu, de ses choix et de son intimité. Dans un Etat démocratique, les citoyens et citoyennes ont le droit de choisir leur orientation sexuelle et sont responsables de ce choix, à partir du moment où il ne concerne que des adultes consentants dans la sphère privée ! Un Etat civil et démocratique ne devrait donc pas s’immiscer dans la vie sexuelle de ses citoyens ou d’autres personnes adultes résidant temporairement sur son territoire ou soumises à sa juridiction.
Pr. Wahid Ferchichi
professeur agrégé en droit,
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis,
Université de Carthage