Vania, trans camerounaise réfugiée au Maroc.

Un témoignage en 5 chapitres recueillis par
l'Association des lesbiennes et des gais sur Internet (ALGI).

Le récit qui suit nous a été raconté au cours d’un long échange de courriels débutant en avril 2020 par une demande d’aide envoyée à l’Association des lesbiennes et des gais sur Internet (ALGI), demande prise en charge par le Comité de solidarité internationale (CSI) de l’association.

Sous le nom de plume Vania, notre correspondante agira comme collaboratrice de l’ALGI témoignant de la réalité très difficile des transgenres en Afrique.

La mise en forme de ce récit se limite à une correction linguistique et à l’élimination de redites entre divers courriels.

Le récit prend deux formes. Il y a d’abord la chronologie de la vie de notre correspondante jusqu’à son arrivée; au Maroc. Il y a ensuite une chronique de sa vie de réfugiée au Maroc, comme relaté dans les courriels qu’elle nous a envoyés. Les noms des personnes ont été modifiés pour protéger l’identité de notre correspondante.

  1. Ma vie au Cameroun.
  2. Mon départ du Cameroun.
  3. Ma vie d’enfer comme réfugiée au Maroc (avril à aout 2020).
  4. Ma vie d'enfer comme réfugiée au Maroc (sept. à déc. 2020).
  5. Ma vie d'enfer comme réfugiée au Maroc (janv. à juin 2021).

1. Ma vie au Cameroun.

Bonjour,

Je m’appelle Vania. Je suis un gay trans âgé de 18 ans.

J’ai fui mon pays, le Cameroun, pour me retrouver au Maroc où je vis depuis octobre 2019. Je suis une réfugiée reconnue par le bureau du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) au Maroc. Je me suis toujours sentie femme et j’ai été souvent confondue dans ma jeunesse avec une petite fille jusqu'à ce qu'on découvre. Je souffre émotivement d'être une femme en prison dans la peau d'un garçon.

Je suis partie de mon pays après avoir vécu beaucoup d'évènements malheureux à cause de ma sexualité et de mon genre. Voici mon histoire.

Je perds ma grand-mère en décembre 2012, celle-là qui a toujours pris soin de moi depuis que ma mère m'avait abandonnée chez elle au village à l'âge de 4 mois, car papa (paix à son âme) avait dit qu’il n'était pas le responsable de la grossesse. De 2002 à 2012, je vivais au village avec grand-mère qui vendait les bâtons de manioc et la récolte du champ pour m'élever.

Je suis pygmée de l'est du Cameroun et, quand grand-mère est morte le 25 décembre 2012, une cousine m'a ramenée en ville disant qu'elle va me mettre à l'école, car j'ai arrêté au cm2 (5e année). Elle et son mari ont passé leur temps à me taper et à me maltraiter, car j'étais vue comme un garçon efféminé. Ma cousine vendait de la nourriture le soir dans un bar à Akwa et moi j'étais là pour le ménage et pour vendre ses jus de fruitS.

Un jour son mari m'a surprise avec le fils de la voisine. On jouait à papa et maman et il a commencé à me faire le chantage. Le soir, quand elle partait vendre, il mettait un film porno et il me disait de sucer son sexe, sinon il menaçait de dire à la mère du garçon de la voisine, qui était une policière, que j'avais rendu son fils gay... Ça a duré des semaines et un jour il a commencé à me sodomiser. Un jour que j'étais malade, j'ai refusé. Il m'a frappée. Et quand ma cousine est rentrée, il a dit que j'avais volé son argent : 10000fr. Ils m'ont tapée nue et m’ont mise dehors. J'ai dormi devant la porte d'une boutique et il y avait une famille musulmane qui m'a ramenée chez elle. Leur maman a dit qu’elle ne voulait pas me voir là, car être pédé c'est une malchance et une malédiction. Le lendemain, ils m'ont ramenée à la maison et le mari de cette cousine a refusé que j'entre encore chez lui.

Après les supplications, il a accepté, et a recommencé à me faire ce qu'il me faisait... En mars 2017 ma cousine est morte suite à un accouchement difficile. Après, il a fait venir sa petite sœur qui me traumatisait avec la bastonnade à la maison. Ils avaient des mots comme « si ta grand-mère encourageait les pédés, nous on va te tuer et nous libérer de toi ». Un autre soir j'ai refusé de céder à son chantage. Quand sa sœur est revenue il a dit que j'avais volé son argent ET ils m'ont frappée nue devant les gens avant de me mettre à la porte.

C'est toujours les musulmans qui m’ont ramenée chez eux parce que j'étais allée me coucher devant la boutique d'un sénégalais. Leur mère s'est opposée et ils ont supplié. Elle a dit que je ne dois pas dormir dans sa maison. Je dormais donc avec les garçons dans la dépendance derrière... Je dormais avec l’un de leurs fils, Ismaël, qui était gay, mais eux, ils ne le savaient pas. On a commencé à flirter ensemble. Après plusieurs semaines le mari de feu ma cousine vient dire au frère d’Ismaël de nous surveiller, car je suis pédé et je lui touchais le sexe à la maison quand il dormait. C’est comme ça que, vers la fin de l'année de 2017, alors qu’on pensait que tout le monde était à la mosquée et que ses sœurs regardaient la télévision dans la grande maison, Ismaël est rentré et il a trouvé que j’avais de la fièvre. Je ne me sentais pas bien. Il s'est couché derrière moi pour me consoler. Je n'ai jamais oublié ses mots : « Bébé, tu ne vas pas bien ? »

Je suis rentrée de l'école. Son frère, qui était derrière la porte, est rentré avec un tuyau de gaz ou une courroie. Et il s'est mis à nous taper. En appelant leur mère « dada warlé », c'est à dire maman vient, maman vient. Ismaël a fui et il m'a laissé là. On m'a attachée et tapée. Les gens disaient qu’on fende mon anus avec la lame. Je porte encore les cicatrices de ce jour sur mon dos. Certains voisins ont appelé la police qui est arrivée et on m'a d'abord emmenée à un centre de santé pendant que la famille partait porter plainte.

Là-bas, le policier m'a dit « Mon ptit, tu sais qu’être pédé c'est un crime ici au Cameroun, donc tu vas aller en prison même si tu es ptit » . L'infirmière a eu pitié de moi et a dit au policier de me demander ce qui s'était passé. Je leur ai raconté ma vie jusqu’à ce jour et ils ont eu de la peine. On m'a prescrit des examens à faire et on a donné une ordonnance. L'infirmière et le jeune policier sont sortis et ils sont revenus quelques minutes après. La dame m'a donné un antiinflammatoire, le doliprane, et le policier m'a dit qu’il va m'aider à fuir, car la famille va en finir avec moi si je pars au commissariat. Il m'a accompagné à 23h30 à Yassa, à la sortie de la ville de Douala. Il m'a mise dans un car pour Yaoundé et m'a souhaité « Bonne chance mon petit. Va dans ton village et ne reviens plus ici… »

Arrivée à Yaoudé, vers 3h30 à Mvan, avec le visage enflé et tout, je suis allée vers une maman qui vendait le poisson braisé. Elle m'a chassée croyant que je suis un petit voleur qu’on a tapé … J'ai marché un bon moment et je me suis retrouvée à Mvog Ada, quartier pas très loin de là ou j'ai dormi 3 jours dans une maison abandonnée en chantier. C'est les voyous qui venaient fumer le chanvre qui m’ont trouvé là et m’ont tout pris et chassée…

Après 3 jours, j'allais un peu mieux et j'ai commencé à me débrouiller à nettoyer les tables des bars et laver les assiettes dans les petits cafés-restaurants. Le soir, je dormais devant. Un soir vers la fin février 2018, si j'ai bonne mémoire, j'ai rencontré un couple gay qui buvait souvent là. Ils m'ont posé des questions, m'ayant remarquée. C'est comme ça qu’ils m’ont ramenée chez eux. Quelques mois après, le Monsieur est rentré soul et voulait me violer. J'ai refusé. Il m'a tapée. Quand son passif est rentré, il lui a dit que je voulais qu'il me fasse l'amour et son passif a commencé à me brutaliser. J'ai commencé à me défendre et les voisins ont appelé la police qu'il y a les pédés qui bagarrent ici. La police est venue nous prendre. Ils étaient 4 dans le car et on a roulé jusqu’à un bosquet. Ils ont demandé qu’on donne 50000 par personne, sinon on nous amène au poste de police et c'est la prison directe. Déjà, ils nous insultaient en cours de route : « Vous êtes pédés car vous avez des piercings et des mèches sur la tête. On va bien vous fesser au commissariat ». L’un a demandé nos cartes. Moi je n'avais pas encore de carte, et je n'arrêtais pas de pleurer…

Au bosquet là, ils ont demandé l'argent et le gay avait 20000fr. Il a donné et ils ont dit qu’on doit sucer leur sexe. J'ai commencé à supplier en pleurant (ce bosquet est situé entre Hawaï escalier et carrefour de la mort; à partir de 21h. les voitures ne passent plus là-bas). Ils nous ont chassés quand on a refusé et nous sommes rentrés à pied. Le couple m'a mise à la porte et c'est comme ça que j'ai décidé de rentrer dans mon village.

Arrivée au village, une amie de grand-mère, paix à son âme, a dit que je suis trop petite pour vivre seule. Elle m'a dit de venir vivre chez elle. J'ai vécu là-bas jusqu’au mois de février 2019, mais c'était un calvaire. Ses enfants me détestaient et me tapaient. Je partais au champ 3 fois la semaine et, le reste de jour, je partais en ville me débrouiller dans les bars, comme d'habitude...

Un jour, étant fatiguée, j'ai entendu les enfants dire qu’ils doivent me faire partir car je souille leur maison et on parle mal d'eux. Et l'un a dit que sinon, à Pâque, on ne va pas me trouver en vie. Quand leur mère est rentrée, j'ai dit ce que j'ai entendu et ça m'a apporté des sérieux problèmes. Ils m'ont tapé jusqu’à ce qu’un me blesse sur les deux derniers doigts de ma main gauche. Le chef du village et les gens sont venus et on a demandé de me faire partir, car les pédés, c'est une malédiction : « nos ancêtres ne connaissent pas ça et, si elle me garde, elle va être bannie ou même tuée avec moi. La dame m’a remis 20000fr, toute triste, et a demandé que je parte loin de là. C'est comme ça que j'ai fui mon village pour aller à Garoua où j'ai rencontré le gay qui m'a emmené au Nigéria…

2. Mon départ du Cameroun.

J'arrive à Garoua après 2 nuits de voyage. Je dors à la gare et je rencontre une Ad. que j'ai aidée à descendre ses bagages. Elle a vu le bandage sur mes doigts et m'a demandé ce qui s'est passé. Je lui ai raconté ma vie jusqu’à ce jour. Elle m'a emmenée chez elle et, vous savez, Garoua est une ville musulmane, donc je n'étais pas la bienvenue chez eux. Après, je pense, 2 semaines à Roumné, j'ai rencontré Ar. qui vendait des œufs et du pain. Il m'a trouvé sympa et il a proposé qu’on vive ensemble. Il était travesti de nuit, mais un peu normal en journée.

Un jour, il est sorti et revenu avec des bleus partout. C’est des homophobes qui l'avaient agressé. Il les avait rencontrés sur Planet Roméo. Voilà comment notre maison était devenue la risée du quartier et on voulait nous faire la peau. Il a dit qu’on devait partir en Libye pour traverser la mer et aller en Italie vivre notre vie de gay tranquillement. Il a contacté un monsieur au Nigéria qui faisait passer les gens clandestinement pour aller soit en Libye ou en Algérie. Il a dit qu’on devait le retrouver à Touroua à 10h. Nous sommes arrivés en retard. Le monsieur a demandé 50000 fr par personne, car on devait contourner la frontière, n'ayant pas les papiers.

Je ne connaissais pas le HCR quand j'étais au Nigéria. Car mon but avec Ar. c'était d'aller en Libye pour traverser la mer.

Le 10 juillet 2019, quand on a quitté Garoua par Touroua, petite localité par où on est sorti du Cameroun, nous sommes arrivés au Nigéria à Kano le lendemain, si j'ai bonne mémoire. Et on nous a gardés dans une maison avec d'autres personnes qui devaient voyager vers l'Algérie et la Libye. Le Mr qui était propriétaire nous demandait l’équivalent de 250.000fr CFA pour ceux qui partaient en Algérie et un peu plus pour nous qui voulions aller en Libye. Ar. a payé pour lui et moi il me restait 75000fr CFA et je suis restée. Le Mr a dit qu’il ne pouvait pas me garder chez lui si je ne payais pas le loyer. Du coup, il m'a mise à la porte.

J'ai passé 2 nuits à vagabonder et je suis tombée sur un Mr qui m'a dit de prendre une moto pour l'agence Tachankouka, si je ne me trompe pas. Et il m'a dit que je trouverai les passeurs là-bas pour aller en Libye. C’est comme ça que je suis arrivée à cet endroit bizarre où il y avait plein de voitures et de cars et tout. Je me suis renseignée et on m'a montré un Mr, mais avec hésitation, qui était passeur il m'a demandé 200.000frs CFA. Mais, je n'avais pas la somme.

J'ai commencé à travailler à l'agence pour laver les toilettes et balayer et encaisser l'argent des gens qui vont aux toilettes. Souvent, j’aidais les commerçants et voyageurs à porter leurs bagages pour quelques nairas. Je dormais sur un tapis dans un coin à 200 nairas. J'ai rencontré un commerçant qui allait à Arlit au Niger et il m'a trouvée très gentille. Je lui ai raconté ma vie et il a eu de la peine et a dit qu’il allait m'aider à aller en Libye, si c'était mon souhait. Nous sommes partis de Kano, ville du Nigéria où j'étais, pour Agadez au Niger le 29 ou le 30 aout 2019. Tout est parti si vite pour moi, comme une grâce de Dieu. C'est vrai que j'ai mal quand je me souviens du chemin très dur jusqu'au Maroc et ce qui me fait souvent vouloir me renfermer et pleurer…

3. Ma vie d’enfer comme réfugiée au Maroc (avril à aout 2020).

Avril 2020.

Je viens vers vous pour demander de l'aide car je vis des tortures et une discrimination à cause de ce que je suis. Ce 1er avril 2020, mes colocataires et moi avons subi des violences à domicile de la part des forces auxiliaires du Maroc et je me suis retrouvée évanouie à l'hôpital. Je me suis vue privée jusqu'à aujourd'hui de mon téléphone.

J’ai crié à l’aide, mais on m’a dit d’attendre. Je n’ai pas arrêté de faire des crises de mauvaise respiration et d’évanouissement depuis le 1er avril. À l’hôpital, on ne me traite pas bien. Parfois, on ne veut même pas me toucher et on me chasse de la salle.

J'ai contacté le HCR à plusieurs reprises, mais je suis toujours sans suite. J'ai peur pour ma vie. Hier même, deux jeunes Marocains m’ont brutalisée alors que je sortais de l’hôpital. Je ne sors plus car, quand je sors, les gens du quartier m'insultent : zamel , pédé… J'ai même failli être agressée aujourd'hui alors que j'allais chercher de quoi manger. J'ai très peur pour ma vie car ceux qui sont censés me protéger deviennent un danger pour moi.

J'ai fui mon pays à cause des tortures et parce que ma vie était en danger. Je me suis réfugié ici et je vois que je suis encore plus en danger. Je ne sais pas quoi faire. Tout ce que je demande c'est de vivre librement loin de ce calvaire. Je vis dans la peur et je suis traumatisée.

J’ai déjà obtenu mon statut de réfugiée auprès du HCR en janvier 2020. Mais ce qui m’inquiète, c’est ma sécurité depuis près d’un mois. Je ne me plains plus parce que, même quand on se plaint, on n'a pas de résultat qui suit. Je suis camerounaise et j’ai été battue par les forces auxiliaires à cause du fait que je suis gay trans et noire. Au Cameroun, j’ai été rejetée même par ma famille et mon village. J’ai pris le risque de venir ici et, depuis que je suis là, je me suis déjà fait agresser 4 ou 5 fois, 3 fois à Casablanca par des Marocains, ce qui m’a poussée à fuir pour venir ici à Rabat. Ici aussi, je me suis fait agresser par les Marocains et maintenant par la police.

C’est comme si ces gens nous détestent. J’ai peur vraiment pour ma vie et je vois que, si ça ne va pas, je vais aller mourir dans la mer pour rejoindre l’Europe, car c’était ma première option.

Le HCR ne m’a pas parlé de réinstallation. Je ne sais même pas ce que c’est. Je vais essayer de demander pour la réinstallation. Mais actuellement, je vis dans la peur et l’angoisse. Je vais attendre que le confinement finisse et je vais aller vers eux.

Juillet 2020.

J'essaie tant bien que mal de me cacher comme je peux, malgré les agressions. La semaine passée, j'ai eu un entretien pour la réinstallation. Mais, je pense que si votre association envoie une lettre au HCR Maroc et à l'ambassade portant mes informations, ils peuvent me réinstaller au Canada.

Actuellement, je vis cachée dans l'angoisse et la peur. Parfois même, j’ai dégout de la vie et je me demande si je suis vivante. Ici, il arrive que des gens avec qui je vis, quand ils constatent que je suis un homme, le disent au bailleur et on me fout à la porte. Là, je me suis installée dans une petite localité près de Rabat et j’évite même de m'exposer en attendant qu'une solution se présente.

Le travail du HCR au Maroc n'est vraiment pas facile et je le remercie pour ce qu’il fait pour nous, les plus vulnérables.

Aout 2020.

Bonsoir.

Je reviens auprès de vous car ça ne va toujours pas. J'essaie même de changer de coupe, mais mon caractère efféminé, ma voix et mon visage me font défaut. Je me suis coupé les cheveux récemment pour passer inaperçue, mais même des blackc maintenant m'attaquent par des injures qui attirent l'attention sur moi. En 1 mois, j'ai fui de 2 à 3 domiciles pour essayer de me cacher. Mais même là, soit ce sont les Marocains qui m'attaquent physiquement, soit des blacks qui m'insultent au passage. Le stress et l'angoisse veulent me détruire. Je ne peux pas facilement aller à une boutique ou au marché car j'ai peur. Je ne peux non plus aller à la police me plaindre à cause de ce que j'ai subi de leur part le 1er avril. Je suis désespérée et déprimée... Je suis partie de la mignonne A..., la poupée black, à un monstre qui va peut être mourir bientôt de stress.

Je ne veux plus appeler le HCR pour ce qui m'arrive, car vu qu'ils sont débordés, ils n'interviennent pas à temps. Là je me suis cachée hors de la ville de Rabat chez une dame qui a pris le risque de me garder en attendant.

4. Ma vie d'enfer comme réfugiée au Maroc (sept. à déc. 2020).

Septembre 2020.

Je suis toujours violentée, même en public. Du coup, j'ai peur même de sortir. Actuellement, je suis malade car j'ai fait une crise de stress et j'étais sur le point de m'évanouir. On a refusé de m'admettre à l'hôpital.

L'agent qui s'occupe des réfugiés malades étant très loin, et comme c'était le weekend, il m'a demandé d'acheter du Doliprane et, jusqu'à aujourd'hui, c'est ça que je prends. Je sais que le travail du HCR Maroc a été très difficile à cause du Covid. Mais là je pense qu'ils ont déjà repris. Je ne suis pas de traitement médical pour le stress. Je suis mal reçue et refoulée quand je vais à l'hôpital. Du coup, je préfère rester chez moi et ne plus appeler quelqu'un à l'aide. Si je meurs, j'aurai au moins un repos de toute cette vie qui me traumatise.

Parfois je pleure et me demande pourquoi je suis venue ici. Mais, après, je préfère me replier sur moi-même. Je suis à bout de souffle et j'ai parfois envie d'en finir avec mes jours pour être en paix.

Il y a près de 2 semaines, j'ai encore été agressée et j'en ai fait part à la personne qui s'occupe de notre écoute à la Fondation Orient Occident. J'ai été frappée et j'ai eu des éraflures sur les bras, le genou droit et la cheville gauche. Ils m'ont giflé et j'ai eu l'oeil touché. J'ai voulu aller à l'hôpital mais on m'a refoulée. J'ai appelé la psychologue du HCR. J'ai même pas voulu trop lui en parler, car je sais que ce n'est pas facile pour eux actuellement avec le travail. Je suis allée à l'hôpital des réfugiés lundi après mon écoute à la Fondation, mais il y avait trop de monde et je ne voulais pas rentrer tard. Ce matin, je voulais aller à l'hôpital des réfugiés et on m'a encore attaquée. J'ai été blessée au doigt avec une lame. Et j'ai dû fuir pour rentrer me cacher à la maison. J'ai vraiment besoin de protection. J'ai même peur de sortir maintenant et même de me plaindre à un agent de police de passage. Il me chasse comme une chienne. Je suis à bout de souffle, je vous assure. Parfois, j'ai envie de me donner la mort, mais je garde espoir.

Novembre 2020.

Actuellement, il n'y a même pas que le Covid qui nous dérange, mais la police aussi. Il y a trois semaines, je voulais me rendre à l'hôpital. Je me suis fait arrêter même avec mon document du HCR. La première des choses qu'ils font c'est d'arracher votre téléphone et tout ce que vous avez. Quand ils ont vu que je suis trans on m'a presque frappée. C'est un policier âgé qui a eu de la peine pour moi et a demandé qu'on me relâche. J'ai à témoin un couple LGBT, assis ici, que j'ai appelé parce que, la dernière fois que j'ai demandé une protection, on m' a craché au nez. Je ne dois pas penser qu'en maison de protection il y a la police qui va me protéger. Ça peut être pire.

Depuis une semaine, je fuis mon domicile, car je suis traquée par le voisinage. Et ma logeuse m'a demandé de partir. J'ai trouvé refuge chez un jeune couple de LGBT pas loin et, d'ici peu, nous irons prendre mes affaires. J'ai même peur de sortir pour aller chercher de petites jobs par crainte de la police. Hier, j'ai rencontré la psychologue le l'ALCS-Maroc à qui j'ai expliqué ce que je vis et que j'ai décidé de ne plus appeler le HCR, car je vois comme si je dérange.

(photo publiée sur la page Facebook de l'Association de Lutte Contre le Sida au Maroc)

Je suis à bout et je prie pour que la Covid passe et que je sois à un endroit où je peux être utile et travailler pour m'en sortir et vivre tranquillement. Je déprime et je ne dors pas de la nuit car ma vie est toujours en danger. Là où je veux aller pour rester, on me chasse comme une chienne et des réfugiés ont même témoigné devant la psychologue. Je prie Dieu tous les jours que je sorte d'ici. J'aimerais rencontrer un écrivain ou un journaliste pour parler de ma vie, car des gens n'ont pas idée de ce que je vis et j'ai vécu. J'aimerais un jour que mon histoire, même si je meurs, soit écrite et qu'on puisse en témoigner.

Décembre 2020.

Bonjour à vous Mr. J'espère que vous allez bien? Moi, de mon côté, j'essaye de me cacher et de m'enfermer. J'ai peur de sortir à cause des refoulements et la police qui nous a traumatisés. J'ai perdu mon téléphone dans une agression. Même dans les bus, je suis traitée comme une chienne et je ne peux pas me plaindre, sinon même la police me gifle et me menace. J'ai été chassée de là où je vivais et j'ai trouvé refuge chez une dame sénégalaise où je suis rendue en boniche de peur d'être exposée.

Je n'ai plus personne dans ma vie, juste sur vous que je peux me tourner pour parler. Je me disais qu'en venant par ici je serais un peu en sécurité. Mais, même la police me traumatise, les populations aussi et même les propriétaires de maison. Tout ce que je veux, c'est de vivre et partir d'ici. Sinon je risque même de me suicider pour ne plus souffrir comme cela.

Pour le HCR je n'ai pas de nouvelles depuis la dernière fois que je suis juste allé pour renouveler mes documents. Mais je prie Dieu que tout soit terminé bientôt car, même là où je vous écris, je suis en train d'être mise à la porte par mon bailleur à cause du fait que certains voisins lui ont soufflé que je suis LGBT. Ma voisine, par pitié, m'a caché la vérité, mais une ancienne colocataire avec qui je cause par téléphone m'a dit qu'elle a appris cela. Et me demandait de faire attention à moi. Car même certains voisins black ici, que je ne connais même pas et qui fréquentent la Fondation du HCR, leur ont soufflé cela. Demain je vais appeler le HCR pour les informer encore et je vais aller rester chez une camarade lesbienne en attendant.

(…) Actuellement même je suis très mal car, comme l'assistance financière du HCR tarde à venir, le bailleur nous met la pression pour payer le loyer. Il y a 3 ou 4 jours, nous sommes sortis pour aller demander l'argent . En route la police m'a tapée en me laissant des traces sur le corps. On a appelé le HCR plusieurs fois. Mais, ils n'ont même pas pris le téléphone. Je suis à bout, je vous assure. Je ne sais plus quoi faire et si je dois me suicider pour en finir avec cette souffrance.

5. Ma vie d'enfer comme réfugiée au Maroc (jan. à juin 2021).

Janvier 2021.

Bonjour Mr et bonne année 2021 à vous.

J'espère que vous allez bien ? Moi, juste le stress énorme. Je n'ai même plus envie d'en parler, car c'est comme si je me plains dans le vide...

J'ai débuté la formation en hôtellerie que le HCR fait bénéficier aux réfugiés, mais mes soucis restent et demeurent. Bailleur qui veut me mettre dehors. On me refuse ou on complique l'accès à certains services publics ici, même de sécurité. Police et Marocains me menacent à chaque fois, ce qui me fait avoir peur de sortir de chez moi-même pour aller demander à manger dans la rue. Mes colocataires me détestent et leurs amis me brutalisent même.

Je suis fatiguée Mr de pleurer et vivre enfermée comme dans une prison. Je passe des jours sans manger, car je ne peux pas sortir facilement. J'appelle le HCR en cas de problème. Mais, parfois, ça sonne et personne ne répond. Ici, c'est eux ma seule famille. Mais, puisque nous sommes nombreux, ils sont débordés et n'arrivent pas à me répondre à temps.

Je passe des moments affreux et je pense même parfois à me suicider, car je n'en peux plus. J'espère vous parler bientôt et merci du fond du cœur pour tout.

(…) Mr en ce qui concerne ALCS (association de lutte contre le sida), j'étais là-bas et moi je ne veux plus trop y aller parce que certains réfugiés divulguent les problèmes des autres. Et pour une petite qui n'a vu que peine et misère, je préfère souffrir en silence. Jusqu'à ce que la mort m'enlève de ce monde.

Et, entre nous, les réfugiés les plus anciens détestent ou traitent mal les nouveaux et les LGBT, c'est pire . Je vais finir ma formation et attendre s’il y a une suite pour mon dossier. Mais, je vous avoue, je suis bien malheureuse. Je suis un traitement et je ne mange presque pas. Pour sortir, je dois être accompagnée sinon c'est agression et autre. Le HCR Maroc est vraiment débordé, car trop de boulot et, avec la Covid qui est là, ce n'est pas facile même de faire une écoute.

Si je ne suis plus vivante, j'aimerais que mon histoire reste dans un livre d'histoire ou un roman pour aider aussi certains qui souffrent et ne veulent pas en parler…

Je vous remercie infiniment pour votre soutien et vos efforts pour m'aider et je prie tous les jours que bientôt je puisse retrouver le sourire, car je souris, mais le cœur est amer... Merci à vous et au HCR Maroc et leurs partenaires qui se battent pour notre survie.

Février 2021.

Pour le HCR, je n'ai pas de nouvelles depuis la dernière fois que je suis allée pour renouveler mes documents. Mais, je prie Dieu que tout soit terminé bientôt, car, même là où je vous écris, je suis en train d'être mise à la porte par mon bailleur à cause du fait que certains voisins lui ont soufflé que je suis LGBT. Ma voisine, par pitié, m'a caché la vérité, mais une ancienne colocataire avec qui je cause par téléphone m'a dit qu'elle a appris cela. Et me demandait de faire attention à moi. Car, même certains voisins black ici, que je ne connais même pas et qui fréquentent la fondation du HCR, leur ont soufflé cela.

Demain, je vais appeler le HCR pour les informer encore et je vais aller d'abord rester chez une camarade lesbienne en attendant.

Surement vous, en contactant le HCR, vous saurez à quel niveau ma demande de réinstallation se trouve car moi, je ne veux pas les déranger vu que je sais qu'ils sont débordés par le travail.

Qu’est-ce que la réinstallation et quel est le rôle du HCR ?

De nombreuses personnes réfugiées ne peuvent pas rentrer dans leur pays parce que les conflits, la guerre et les persécutions sévissent encore. Beaucoup vivent également dans des situations périlleuses ou ont des besoins spécifiques qui ne peuvent pas être satisfaits dans le pays où elles ont trouvé protection. Dans de telles circonstances, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, aide les personnes réfugiées à se réinstaller dans un pays tiers. La réinstallation consiste à transférer des personnes réfugiées d’un pays d’asile à un autre État qui a accepté de les admettre et de leur accorder à terme une résidence permanente.

Voir la vidéo explicative de UNHCR Canada.

Lorsqu’une menace pèse directement sur la vie et/ou la sécurité personnelle d’un réfugié, la réinstallation peut être l’unique solution.

(…) Il est important de souligner que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) peuvent être menacées en permanence de violations de leurs droits humains en raison de lois discriminatoires et de la prévalence d’attitudes hostiles au sein de la société du pays d’asile. En raison de leur comportement perçu comme contraire aux normes sociales, culturelles ou religieuses, ces personnes risquent d’être l’objet de diverses formes de violences et de discriminations de la part d’acteurs étatiques et non étatiques, sans pouvoir bénéficier de la protection efficace de l’État.

Source. Manuel_ de_ réinstallation_ du_ HCR_2011.pdf, pp. 277-278.


Le HCR au Canada ne sélectionne pas les personnes réfugiées qui seront réinstallées au Canada et ne peut intervenir ni influencer le processus de détermination du statut des réfugiés ou le fait qu’une personne réfugiée soit réinstallée au Canada. Lorsque des places pour la réinstallation sont offertes par des pays comme le Canada, d’autres bureaux du HCR à travers le monde, situés dans les pays d’asile des personnes réfugiées, identifieront celles et ceux qui sont à risque et soumettront leurs requêtes à ces pays de réinstallation. Les pays de réinstallation prennent la décision finale quant à savoir si une personne réfugiée sera admise dans leur pays.

Source. https://www.unhcr.ca/fr/au-canada/le-role-du-hcr-reinstallation/

Bonjour Mr. J'espère que vous aller bien? Moi non, ça ne va pas du tout. Car, j'ai emménagé à Rabat et, à cause de mon style, je subis agression, moquerie, injure et frustration des gens même autour de moi. J'ai perdu mon téléphone dans une agression, il y a quelques jours, qui n'a pas été violente cette fois. Et, même quand je rentre de l'école, les Marocains et Marocaines veulent me taper dessus. J'ai essayé de voir les psychologues ici à l'ALCS et celle du HCR est vraiment débordée... Je n'arrive pas à dormir la nuit. Je ne suis pas bien mes cours à cause de la peur et, quand je rentre, je pleure toute la nuit. Je suis déjà très à bout intérieurement et j'ai peur même de me réveiller morte à cause du stress. J'ai essayé d'appeler le HCR mais ils sont tellement débordés qu'ils ne me répondent pas. J'ai laissé un email.

Mon passé et ma vie ici me hantent toutes les nuits et je n'arrive pas à dormir. Je vous en prie, j'ai besoin de vous parler. Ici le HCR est ma seule famille et, même dans ce monde je suis très mal en ce moment et c'est pourquoi je vous écris.

Mai 2021.

Je suis très contente de recevoir un message de vous.

De mon côté, j'essaie juste de me battre pour être forte à l'école dans ma formation. Je profite de mes nuits pour étudier parce que je veux être la meilleure à l'école. J'ai eu de bonnes notes et, pour le coté du stress, quand je sors de ma maison, j'essaie de rester souriante pour qu'on ne se moque pas de ma souffrance. Je n'ai toujours pas vu le psychologue et même là d'où je vous écris, je suis dans les problèmes parce que, jusqu'à aujourd'hui, on n'a pas eu l'assistance et ma bailleuse n'arrête pas de venir à la maison. J'ai même fui pour aller dormir chez une femme que j'aide souvent pour le ménage parce qu'elle est enceinte. Le HCR continue son travail. Je n'ai pas encore eu de nouvelles de ma réinstallation. Je respecte leur travail et l'effort qu'ils font pour nous, car ce n'ai pas facile.

Je passe mon temps enfermée dans la chambre pour éviter les problèmes, mais, même comme ça, je me retrouve dehors soit pour aller à l'école ou pour acheter le pain pour manger. Je cache ma peur dans mes cahiers et un espoir qu'un jour je vais vivre libre et heureuse. Malgré que souvent je me couche avec l'envie de ne plus me réveiller. Parfois, je regrette d'être venue ici et mourir petit à petit avec le stress. Je devais aller en Libye et, même si je devais mourir dans l'eau, j'aurais essayé. Je vis sans vivre et je perds mes forces tous les jours. Mais, je pense qu'il y a un espoir. J'évite les gens et je me cache pour ne pas avoir de problèmes.

Je vous remercie de toujours m'écouter et je remercie aussi même le HCR de m'avoir reçue ici.

Juin 2021.

J'espère que vous allez bien? Moi je suis trop triste parce qu'on m'a refusé l'accès à toutes les activités de la fête des réfugiés parce que je suis trans. Je pense que je vais rester dans mon coin et attendre ma mort tranquillement parce que je suis mise hors de tout ce que je peux faire.

Photo prise lors de la Journée mondiale du réfugié
https://www.facebook.com/unhcrmaroc/posts/2761529557400997

Je vous remercie pour votre écoute et votre soutien, mais je pense que je ne participerai plus jamais aux activités de cette association parce que, pour eux, je semble être une honte. C'est la Fondation Occident Orient, partenaire du HCR, qui organisait. Je les comprends un peu parce que la dame m'a dit que c'est politique et ça peut causer des problèmes si je participe. Plein de LGBT, même ,n'étaient pas au courant du programme et ont été écartés à cause de la peur des autorités si elles voyaient ça. Mais bon, ce n'est pas de leur faute : c'est les lois ici qui nous condamnent.