Sortir du placard

Envoyé par Patrick Laperrière, blogueur / via ALGI en date du 14 juin 2016 à 21h13

Patrick Laperrière a un blogue sur quebec.huffingtonpost.ca. Voici comment il se définit. Auteur? Non. Écrivain? Encore moins. Je suis un raconteur d'histoires, un enrichisseur d'anecdotes anodines.

Récemment, il nous faisait part du texte Sortir du placard publié le 27 mai dernier. Il y raconte l'histoire vraie de Raphaël, un  jeune gai rencontré par hasard et qui a décidé de sortir du placard.


Connaissez-vous Raphaël? Il y a une semaine de ça à peine, je répondais aussi non. Depuis, je n'arrête pas de penser à lui, aux actes et aux paroles que l'on pose sans réfléchir et aux conséquences qu'ils peuvent provoquer. Dire que l'on s'est rencontré dans de mauvaises circonstances est faible. J'avais envie de crêpes ce matin-là. Ce fut ma meilleure décision depuis longtemps de me rendre à l'épicerie.

Raphaël a 19 ans. Il est le frère cadet de Marc-Olivier, 25 ans, qui, lui, est joueur de football vedette de son université, capitaine de l'équipe, maîtrise en administration des affaires en cours, charisme de Beckham et expert en gestion féminine. Issu d'une famille parfaite à première vue et même à deuxième vue. Tsé, le genre de famille que l'on retrouve dans le catalogue Sears du temps des fêtes, tous vêtus d'un pull multicolore orné de chevreuils, de flocons ou de sapins, assis au pied de l'arbre de Noël pendant que maman souffle sur ses mains pleines de fausse neige, provoquant un fou rire incontrôlable de tous? Ce genre de famille là. Clic. Photo parfaite.

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Le papa, lui, est plus souvent qu'autrement à l'extérieur afin de s'assurer, année après année, de maintenir son revenu annuel dans les six chiffres (bientôt sept), statut oblige. Maman, elle, esthéticienne à son compte à domicile afin de s'assurer d'être toujours disponible et bien mise lorsque papa est en ville, odeur de tarte aux pommes présente. Bref, «les deux s'assurent de s'assurer d'avoir la vie rêvée». Ce sont là des mots venant directement de la bouche de Raphaël.

La mauvaise circonstance entre lui et moi s'est passée un samedi matin, à l'ouverture du supermarché de mon quartier. Il y travaille depuis déjà 2 ans comme emballeur. J'attendais patiemment en file pour payer lorsqu'un client s'est approché de lui et lui a lancé haut et fort :

«Toi, juste à t'entendre parler avec ta p'tite voix aiguë de fif, on sait que t'es gai, hein?»

Raphaël a répliqué : «Vous avez vu juste, monsieur». Le client est sorti.

J'ai figé. Tout comme les autres clients et la jeune caissière, qui venait visiblement d'apprendre l'orientation sexuelle de son collègue en même temps que nous tous. J'aurais voulu prendre sa défense, mais c'est comme si je n'arrivais pas à croire ce que je venais d'entendre. J'ai même cru durant une fraction de seconde à une blague venant d'un client habitué qu'il connaissait depuis longtemps. À voir sa face, Raphaël ne le connaissait pas. L'homophobie, c'est comme les «pagettes» et les Toyota Tercel : je suis toujours surpris de constater que ça existe encore en 2016.

Avant de quitter à mon tour, je n'ai pu que lui dire de ne pas s'en faire. Le genre de mots qui ne sont d'aucuns réconfort, mais qui sont dit dans un élan de solidarité, compte tenu de l'affront qu'il venait de vivre. J'étais sidéré. Lui, il m'a salué et souhaité une «bonne journée» d'un sourire professionnel, comme il a l'habitude de le faire à chacune de mes visites. Look excentrique, toujours souriant, la voix joyeuse et la gestuelle amplifiée quand il parle. On remarque positivement Raphaël. Il est l'exemple parfait de quelqu'un d'unique en son genre.

Mais Raphaël est malheureux.

Malheureux de se lever le matin, malheureux de s'accepter, malheureux d'apprendre à être lui, et même jusqu'à ne plus vouloir que le «lui» existe. Il y a souvent pensé. On s'est recroisés par hasard le lendemain. On a jasé plus d'une heure. Je lui ai payé un cappuccino glacé, et la vie m'a surpris, encore une fois.

Il le sait déjà ce qui cloche avec lui. Rien ne sert de tenter de se convaincre, de son propre aveu, il n'est pas comme les autres. Il a l'impression d'être seul dans son camp, seul sur sa planète. Raphaël se sent de cette façon. Raphaël est attiré par les garçons.

Une accumulation de constats, des regards, des sensations, des touchers bien souvent hors de son contrôle. Toutes des vérités qui l'ont frappé au fil du temps, et bien plus que tous les commentaires désobligeants tenus devant lui ou dans son dos, que les gens croient qu'il n'a pas entendus.

«J'en suis conscient depuis un an, avant je ne m'étais même jamais arrêté à ça.»

«Ça ben l'temps de me passer, que j'me disais. Et si c'était juste un trip? J'ai jamais eu de blonde, j'en ai jamais ressenti le besoin. J'en avais pas envie. Je croyais que c'est parce que j'avais pas rencontré la bonne.»

Son ton me disait qu'il essayait de se convaincre, mais moins que sa lèvre du bas qui s'est mise à trembler.

Mais il ne veut pas que ça passe. Il est bien comme ça, et seulement avec ça. C'est le «alentour» qui le perturbe et qui le fait douter à ce point. À un point tel qu'il n'y a que pour cette crainte de l'annoncer qu'il aimerait «redevenir inconscient». Personne ne le sait. Du moins, officiellement.

«Mon père est aussi classique que la 5e symphonie de Beethoven. Je vais être comme la tache qui ne part pas sur un vêtement.»

«Je suis persuadé que ton père t'aime Raphaël, et qu'il finira par l'accepter. Et s'il l'acceptait dès le début? Tu pourrais être surpris», que je lui ai répondu.

«Je le sais qu'il m'aime... mais tsé, une tache sur un vêtement qui vaut cher à tes yeux, c'est encore pire. Lui, tu peux le remplacer, et dans mon cas, l'argent n'y peut rien.»

Là, c'est ma babine à moi qui s'est mise à trembler.

«Mes parents et mon frère m'en ont jamais parlé et je suis incapable de leur dire. Ils sont trop parfaits. Je les vois comme ça. Mon frère peut faire ou dire n'importe quoi, ils vont l'accepter car il a un statut, alors que moi, j'en suis à mon troisième programme au cégep et emballeur dans une épicerie. T'imagine? Chez moi, on ne parle pas d'émotions, car il faut être capable de les gérer. Il faut être fort. Pleurer, c'est pour les faibles. Pour mes parents, le mot dilemme n'existe pas, tout est noir ou tout est blanc. De toute façon, tu vois comment chu pas certain moi-même? Ou à moins que je le sois... Je suis dans le gris, gris foncé mettons. Pour ce qui est de mes amis, j'entends tellement de jokes de "fifs" pis de "tapettes" que la question ne se pose même pas. Même en 2016, c'est pathétique.»

«Les gens semblent encore plus persuadés que moi que je suis gai», me dit-il d'un air surpris.

«Toi, à première vue quand tu me rencontres, penses-tu que je suis gai?»

«Tu me poses vraiment cette question-là? Ce que je pense, on s'en fout.»

«Oui. N'aie pas peur de répondre, on pose des questions quand on est prêt à entendre la réponse.»

«Je t'en pose une à mon tour. Pourquoi avoir répondu au client qu'il avait vu juste après ce qu'il t'a dit?»

«J'ai posé une question en premier...»

La barrière de la franchise venait de s'ouvrir.

«Oui», que je lui ai répondu. «Mais en me basant seulement sur les 15 minutes écoulées depuis notre rencontre et avec la même certitude frêle qu'un gars avec les mains noires en permanence est automatiquement mécanicien, qu'une p'tite madame de 5 pieds 1 avec un châle sur le dos et une permanente cendrée s'appelle Marguerite, pis qu'un Bernard a assurément une barbe et des lunettes. Tu vois la solidité de mon opinion? L'humain est rempli de préjugés.»

«Merci de ta franchise, Patrick. C'est ben correct. Pour ce qui est du client, il m'a fait du bien. C'est comme si lui, il m'avait libéré. Il a été déplacé mais il a été honnête.»

«Mais y a que toi qui peut savoir qui tu es vraiment, et je crois aussi qu'en t'affrontant de la pire des façons et dans la pire des situations, tu as répondu à ce client avec ton cœur en lui avouant qu'il avait vu juste. C'est pas justement ce que tu souhaites que tes parents fassent, t'affronter pour tout leur avouer?»

«Vraiment.»

Le «vraiment» sorti de sa bouche est sorti aussi franc que son sourire qui venait d'apparaître sur son visage.

«Je crois que j'ai besoin de me libérer de quelque chose.»

«Tu me permets d'écrire un article sur notre conversation?», que je lui ai demandé.

«Certain. Le pire là-dedans, c'est que si j'étais en face de moi, je m'encouragerais à en parler. J'ai l'impression que je ne serai qu'homosexuel la journée où j'en parlerai. J'ai besoin de savoir qui je suis, quitte à ce que ça commence avec la réaction des autres.»

Et maintenant, connaissez-vous Raphaël? Non, car vous en connaissez encore trop peu.

Pour ma part, ce jour-là, j'ai rencontré un être gentil, ouvert, généreux, humain, mais anxieux. Très anxieux. Anxieux de ne pas vouloir voir, ni même sentir, la déception dans les yeux des êtres les plus importants pour lui. Son entourage, qu'il place bien au-devant de sa propre personne et de son propre bien-être.

Mais des Raphaël, il y en a des milliers qui se retiennent de sortir du placard de la honte. La honte créée par la peur de l'incompréhension des autres car, bien souvent, ils ont eux-mêmes vécus l'incompréhension de soi, et ce, depuis bien longtemps.

Du placard de la peur, la peur du rejet des proches, ne serait-ce que pour digérer l'annonce. Ce foutu placard où l'expression est utilisée pour les gens homosexuels alors qu'il ne sert à la base qu'à y ranger des seaux, des balais et des mops souillés qu'on ne veut pas laisser à la vue de tous, parce que ce n'est ni esthétique, ni hygiénique. Il est grand temps que l'on cesse cette expression révolue et que chacun puisse dévoiler son orientation comme bon leur semblera de le faire. Est-ce qu'un hétérosexuel ressent le besoin d'annoncer qu'il est hétérosexuel?

«Sortir du placard» ne devrait être utilisé que lorsque les gens acceptent enfin de s'ouvrir à la différence. Ce n'est certainement pas l'homosexualité qui doit être cachée dans l'armoire à balai.

Juste au moment de repartir avec sa voiture, Raphaël baissa sa fenêtre et me dit :

«Pis tu peux aussi écrire que le Raphaël de ton texte travaille fort sur lui pour en parler à ses parents, pis ça drette à soir. Je soupe avec eux. Je me suis entendu et écouté en te racontant tout ça, pis ça m'a fait du bien. Merci. Je te tiens au courant.»

J'ai souri.

Merci à toi Raphaël, et à cet homme de t'avoir insulté, sans quoi je n'aurais pu découvrir ce jeune homme en recherche d'identité qui semble être sur la bonne voie. Ce texto reçu de ta part quelques heures plus tard, me le laisse supposer.

«C'est fait Pat. Je te raconterai ça.»

Bravo Raphaël pour ton courage, tu peux maintenant barrer le placard derrière toi.

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