L'armée canadienne en guerre contre les gais
Envoyé par Enquête «J.E.» sur TVA / via ALGI en date du 02 novembre 2016 à 11h01
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Pierre-Olivier Zappa de TVA Nouvelles a publié le le 25 octobre 2016 un reportage de l'émision JE sur la répression des homosexuels dans l'armée canadienne. On y entend de multiples témoignages de personnes qui ont vu leur vie détruite par cette répression homophobe.
Les Forces armées canadiennes ont mené une guerre sans merci contre leurs militaires homosexuels. Dans un passé récent, des centaines de soldats gais ont été intimidés, torturés et congédiés en raison de leur orientation sexuelle. L’émission J.E. lève le voile sur une page sombre de notre histoire.
« L’armée a complètement gâché ma vie. Ils m’ont scié les deux jambes. Je ne m’en suis jamais remis », confie Lucie Laperle, ancienne militaire. Elle est l’une des centaines de victimes d’une campagne ultra-secrète lancée par l’état-major de l’armée.
De 1976 à 1992, un règlement stipule que les gais souffrent d’une « déviance sexuelle », comparable à la « bestialité » ou à la « grossière indécence ». Les homosexuels devaient être identifiés et congédiés en toute discrétion.
« Pendant plusieurs années, j’ai caché mon homosexualité au sein de l’armée. Mais un jour, des enquêteurs anti-gais m’ont interrogée pendant deux heures. Ils m’avaient suivie sept jours sur sept, pendant un mois. Mes sorties dans les clubs gais, mes fréquentations, mes déplacements... », se souvient-elle.
Des enquêteurs spéciaux des Forces ont mené des centaines d’enquêtes sur des soldats gais avant de les congédier. Des rapports obtenus par l’émission J.E.révèlent leurs techniques draconiennes.
« Ils m’ont espionnée et ils m’ont suivie dans les bars de Toronto. Ils ont aussi pris des photos de moi, à la maison », s’indigne madame Laperle. Une fois la preuve amassée, les soldats ont subi des interrogatoires souvent musclés.
« Pendant l’interrogatoire, les enquêteurs me hurlaient : êtes-vous lesbienne ? Aimez-vous les femmes ? À un moment, j’ai craqué, car ils savaient tout de ma vie intime », raconte-t-elle. Avant d’être expulsée, elle sera internée dans un hôpital psychiatrique en Ontario, pendant plus de deux mois. « Ils voulaient savoir si je pouvais guérir de mon homosexualité ».
Des centaines de victimes
Des centaines de militaires homosexuels, aux quatre coins du Canada, ont vécu les mêmes traitements inhumains.
À la fin des années 80, la vie et la carrière de Dany Pelletier ont basculé. « J’étais un de leur top, et du jour au lendemain, je suis devenu une honte. Je devais quitter rapidement », relate cet ancien tireur d’élite du premier commando.
Il se souvient du climat de paranoïa qui régnait chez ses collègues gais, à l’échelle du pays. « Je jouais le jeu. J’inventais des histoires avec des femmes pour ne pas donner d’indices. C’était une mise en scène très difficile pour moi. »
Dany a perdu son emploi au terme d’une vaste enquête sur sa vie personnelle. «Ils m’ont montré des photos de moi et de mon copain, assis sur le divan à la maison. C’était le choc. Je n’avais plus le choix d’avouer. Quelques heures plus tard, j’étais mis à la porte après plus de 20 ans de service. »
Impossible de contester l’homophobie
Caporal Diane Vincent s’est battue pendant trois ans après son congédiement, en 1982, convaincue d’être victime d’une grave injustice.
« Je n’arrivais pas à y croire, j’étais en pleine négation. J’ai essayé de m’adresser à tous les paliers de l’armée. Ils me répondaient toujours qu’il s’agissait d’une décision finale en raison de mon homosexualité. »
À l’époque, impossible pour les soldats de s’opposer aux sévices homophobes. La purge est ordonnée par le plus haut dirigeant des Forces canadiennes, le général Ramsey Withers, nommé par Pierre-Elliot Trudeau.
J.E. a obtenu un document secret signé de la main du général, dans laquelle il expose ses préjugés homophobes. « Les Forces ont la responsabilité d’offrir un milieu acceptable à la plupart de ses membres et doivent éviter de recruter ou de garder des personnes ayant des comportements inhabituels comme l’homosexualité. [...] Aux yeux des Canadiens, un organisme militaire qui recruterait des homosexuels ne serait pas un endroit convenant à leurs enfants. », écrit-il dans une lettre confidentielle au milieu des années 80.
Des séquelles permanentes
« Pour survivre, j’ai même pensé tuer pour être certaine d’avoir un toit sur la tête. J’ai fait des vols. J’ai pensé au suicide », confie l’ancienne militaire Joyce Ward.
À la fin des années 80, elle se souvient d’avoir reçu des électrochocs lors d’un interrogatoire mené par des enquêteurs spéciaux. « Un moment donné, je me perdais. Je ne savais plus où j’étais rendu. Quand je me suis réveillée, j’avais du sang sur le côté de la tête », relate-t-elle.
Comme plusieurs de ces anciens collègues gais, elle demeure sans emploi et tente de trouver de l’aide psychologique et financière. « Ma vie est gâchée et l’armée refuse de prendre ses responsabilités », s’indigne-t-elle.
À ce jour, les victimes de la guerre aux homosexuels n’ont jamais reçu d’excuses ni d’indemnisations de la part des Forces canadiennes. Le gouvernement fédéral refuse de reconnaitre les traitements inhumains qu’il a infligés à ses propres soldats.
L’armée canadienne a abandonné les soldats victimes de sa chasse aux homosexuels menée de 1976 à 1992. Ces vétérans traumatisés sont aujourd’hui privés de plusieurs années de salaire et de leur pension de retraite. La vétérane Brigitte Laverdure a fondé un groupe d’entraide pour les aider à briser le silence.
L’armée canadienne a abandonné les soldats victimes de sa chasse aux homosexuels menée de 1976 à 1992. Ces vétérans traumatisés sont aujourd’hui privés de plusieurs années de salaire et de leur pension de retraite. La vétérane Brigitte Laverdure a fondé un groupe d’entraide pour les aider à briser le silence.
« Le but premier de notre mission, c’est d’aider ces gens-là immédiatement. Nous allons leur chercher de l’aide psychologique et de l’aide financière, pour leur permettre d’accéder à une meilleure qualité de vie », explique-t-elle.
Ces derniers mois, une centaine de vétérans, de partout au pays, ont contacté ce groupe d’entraide. Le plus troublant : ce ne serait que la pointe de l’iceberg.
« On estime qu’il y a peut-être plus d’un millier de soldats touchés par les politiques anti-gais de l’armée. Certains ont été congédiés, d’autres ont démissionné en raison de la pression et des sévices », souligne madame Laverdure.
Des histoires d’horreur
Chaque semaine, elle et son équipe rencontrent plusieurs soldats venus leur raconter leur histoire. « Des histoires d’horreur, on en reçoit beaucoup. Des militaires violés en raison de leur homosexualité, notamment. »
Joyce Ward, vétérane expulsée en raison de son orientation, souligne l’importance du groupe dans sa démarche personnelle. « Le partage des expériences, c’est fondamental. Cela nous aide à nous sentir moins seuls, à mieux se connaitre et éventuellement faire la paix avec le passé ».
Pour la plupart, les victimes de la chasse aux homosexuels pensent que leur histoire est unique et craignent d’en parler. « L’armée et le gouvernement ont tout fait pour les laisser dans l’ignorance. Notre rôle, c’est de leur tendre la main et de leur dire vous pouvez vous en sortir », explique Regent Goulet, bénévole du groupe d’entraide.
« Le gouvernement joue à l’autruche »
Aujourd’hui, Brigitte Laverdure s’indigne de l’attitude du gouvernement fédéral qui refuse de reconnaître les traitements inhumains infligés aux militaires gais. « On se fait dire par Ottawa qu’ils ne sont pas au courant de ça. On se fait dire qu’aucun gai ni lesbienne n’a été congédié des Forces. Cela me déçoit beaucoup d’apprendre que le gouvernement joue à l’autruche dans ce dossier-là. »
Aujourd’hui, plusieurs victimes demandent non seulement des excuses de l’armée, mais également une indemnisation. « Une compensation pourrait aider à enlever une certaine douleur », confie Diane Vincent, ancienne militaire.
« Est-ce que des excuses c’est suffisant ? Non ! Je veux qu’ils fassent une commission d’enquête », demande pour sa part Lucie Laperle.
« On leur demande des excuses et une indemnisation, parce qu’au moment où les soldats étaient congédiés, c’était terminé, il n’y a rien pour vous. C’est le minimum qu’on demande », tranche Brigitte Laverdure.
L’armée canadienne porte encore aujourd’hui des séquelles de la guerre contre ses soldats homosexuels, entre 1976 à 1992. Un haut gradé gai de l’état-major des Forces s’est confié à l’émission J.E. sur la discrimination homophobe toujours présente dans son milieu de travail.
John (non fictif) souhaite garder l’anonymat, car ses confidences pourraient entrainer son congédiement, jure-t-il. Il y a 20 ans, il s’est marié à une femme et il a fondé une famille. « C’était pour brouiller les pistes et garder mon emploi. »
Il ajoute que le discours homophobe demeure persistant, même dans les hautes sphères des Forces. « C’est dans la culture de boys club de l’armée. On se fait encore traiter de tapette et de moumoune. C’est de la discrimination très par en dessous », explique-t-il.
Un manque de ressources
John estime que l’armée n’en fait pas assez pour aider les soldats homosexuels à se tailler une place, et partager leurs expériences parfois difficiles.
« Dans l’armée, il n’y a aucune aide, aucun soutien pour les gais. Tu es alcoolique, tu as de l’aide, car il y a des groupes pour eux. Tu es un batteur de femme, l’armée va t’aider. Mais si tu es gai, que tu veux partager tes craintes, tes difficultés, oublie ça! », s’indigne-t-il.
Selon lui, la création de cercles d’échanges et de groupes d’entraide au sein des Forces permettrait aux homosexuels de mieux s’intégrer dans ce milieu travail qui leur est parfois hostile.
« Il est temps que l’armée se réveille et qu’on puisse avoir des groupes de soutien, quelqu’un à qui parler quand on a besoin d’aide. Il est aussi temps que les militaires changent de mentalité. Or, c’est difficile de dénoncer des patrons homophobes, car il sont encore nombreux dans l’armée », conclut John, avec une indignation à la mesure des souffrances qu’il a subies.
Voir le reportage sur TVA
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