L'Islam et les minorités sexuelles

La situation actuelle de la communauté musulmane lesbienne et gaie et les perspectives pour l'avenir*

Par Faisal Alam, fondateur et directeur de la Fondation Al-Fatiha

Introduction par Mark Ungar, membre du comité de coordination de OutFront
(AILGBT États-Unis)

Les pays musulmans posent l'un des défis les plus grands pour le travail d'Amnistie Internationale en matière des droits humains des lesbiennes, gais, bisexuel(le)s travesti(e)s et transsexuel(le)s (LGBT). Parmi les 80 pays où l'homosexualité est officiellement criminalisée, 34 sont majoritairement musulmans. Il y a quelques pays où l'homosexualité demeure passible de peine de mort ; ceux-ci sont tous des pays musulmans qui appliquent la loi de la Charia. Dans la plupart de ces pays, l'action efficace contre ces lois et ces pratiques se voit limitée par l'absence de libertés fondamentales, ce qui rend le moindre début d'une documentation et d'un militantisme une tâche difficile et dangereuse. Néanmoins, dans la mesure où le débat général sur les droits humains prend de l'ampleur, et que des mouvements démocratiques émergent dans le monde musulman, la possibilité de mieux envisager la question des droits humains des personnes LGBT dans ces pays s'accroît. Diverses interprétations du Coran jouissent d'une attention accrue et, grâce aux efforts des femmes ainsi que d'autres groupes privés de leurs droits, une voie est en train de s'ouvrir qui mène vers une plus ample reconnaissance des droits humains. En outre, certaines organisations musulmanes ayant des membres sur le plan international commencent à créer la situation de dialogue et les liens nécessaires à poser les fondements pour le travail en matière de droits humains. Beaucoup de groupes pionniers tel Yousef, une association aux Pays-Bas qui travaille avec des religieux et des académiques musulmans, et Pink Triangle, un groupe LGBT militant en Malaisie, sont en train de frayer de nouveaux sentiers. Aux États-Unis, la Fondation Al-Fatiha, qui en est à sa deuxième année d'existence, travaille diligemment à la promotion des droits des LGBT au sein de la communauté musulmane en s'organisant, en tenant des débats, et en travaillant avec des alliés dont Amnistie Internationale. – MARK UNGAR

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Les rapports entre les religions organisées et le mouvement des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgendéristes (LGBT) continuent d'évoluer à travers le monde. Au fur et à mesure que les religions commencent à comprendre les complexités de l'identité sexuelle et que des activistes religieux s'organisent, les personnes LGBT commencent lentement à être acceptées au sein de leur communauté de croyances. Au cours des deux dernières décennies, la plupart des dénominations chrétiennes et juives ont parcouru un long chemin pour venir tendre des ponts vers la communauté LGBT. Cependant, l'Islam demeure l'une des confessions dans le monde qui a encore un long chemin à parcourir avant d'accepter les personnes LGBT. Le dialogue qui était entamé il y a plus de 20 ans au sein du Catholicisme est loin d'être amorcé au sein de la communauté islamique orthodoxe. Et, tandis que certaines traditions du Judaïsme ont commencé à tendre des ponts vers la communauté LGBT en l'accueillant dans leurs synagogues, l'Islam orthodoxe et ses pratiquants continuent de dénigrer et de traiter de façon inhumaine les LGBT. Dans la plupart des pays islamiques, l'ignorance entourant l'homosexualité est fort évidente, et l'homophobie – qui prévaut tout autour du monde – est aussi très apparente en pays musulmans. Avant de pouvoir aborder les complexités qui caractérisent la question de l'homosexualité dans un contexte islamique, il est important de garder à l'esprit que l'Islam n'est pas une religion monolithique. Étant donné que l'Islam n'a pas de hiérarchie ni, non plus, un "leader spirituel" unique, l'interprétation de la religion varie d'une société à l'autre et d'un pays à l'autre. De la même façon que le traitement accordé aux femmes varie d'une nation à l'autre, il y a des variations dans les attitudes et le traitement à l'endroit des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgendéristes. Bien que l'Islam en tant que religion ait été traditionnellement interprété comme condamnant l'homosexualité, l'acceptation des minorités sexuelles a été prédominante à travers l'histoire islamique. Par exemple, la poésie spirituelle musulmane Soufi a souvent été truffée d'homoérotisme. De plus, quelques-uns des grands gouvernants de l'Empire musulman ont été connus par le fait qu'ils avaient des amants mâles. C'est seulement récemment que des lois ont été adoptées qui criminalisent les comportements sexuels entre personnes du même sexe. Dans le monde musulman d'aujourd'hui, dévoiler la propre identité sexuelle peut entraîner des conséquences terribles. L'Islam considérant la famille traditionnelle comme la clé du maintien d'une société "morale", l'homosexualité va à l'encontre de ces notions. De telle sorte, de nombreux musulmans LGBT font face à l'isolement et à l'ostracisme extrêmes de la part de leur famille et de leur communauté, de manière encore plus forte lorsque leur identité sexuelle est rendue publique. Dans des circonstances extrêmes, ils peuvent avoir à affronter des sentences de prison, la flagellation en public, et même la mort. Étant donné que la religion est vue comme la source de pareilles souffrances, beaucoup de musulmans LGBT se retrouvent en train d'abandonner la foi et de tourner le dos à la religion de leur famille. Pour cette raison, la Fondation Al-Fatiha a été mise sur pied comme organisation internationale consacrée aux musulmans qui s'identifient comme lesbiennes, gais, bisexuel(le)s ou personnes transgendéristes. La Fondation Al-Fatiha a été fondée au mois d'octobre 1998, lorsqu'un groupe de musulmans LGBT se réunissait dans le cadre de la Première retraite internationale pour musulmans LGBT, tenue à Boston, Massachusetts, aux États-Unis. Après trois jours de discussions intenses, les participants ont constaté qu'une organisation internationale était nécessaire afin d'être en mesure de prendre position face aux questions spécifiques et complexes auxquelles est confrontée la communauté des musulmans LGBT. Depuis, Al-Fatiha a mis sur pied deux sections officielles aux États-Unis, avec six autres sections sur le point d'être enclenchées cette année. En plus d'avoir organisé plus de six événements à différents endroits aux États-Unis, Al-Fatiha a coordonné avec succès la Première Conférence Nord-américaine pour les musulmans LGBT et ses amis, en mai 1999, à New York (OutFront a participé à ces deux événements). En créant une communauté de musulmans LGBT et en aidant ces derniers à réconcilier leur sexualité avec leur religion, Al-Fatiha continue d'enjoindre la communauté musulmane à relever le défi d'une révision de ses interprétations traditionnelles de la question de l'homosexualité. C'est l'espoir des personnes musulmanes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgendéristes qu'un jour les notions islamiques de justice sociale, de paix et de tolérance pourront vraiment avoir une signification pour chaque membre de la communauté, indépendamment de sa race, de son sexe, de sa nationalité, de son ethnicité ou de son orientation sexuelle.
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* La version originale de ce texte a été publiée en anglais dans le bulletin (édition hiver 2000) de OutFront, réseau AILGBT des États-Unis. Le texte a été traduit en français et publié ici et dans LE DIRE ! avec l'aimable autorisation de OutFront et de M. Faisal Alam.

© AILGBT (date de modification : 2008/01/17)